24/11/2008
La Grande Gaufre (00)
L’Informatique sous un angle insolite et insolent
Préface:Pourquoi une gaufre en parlant d'informatique?
« Informatique : Alliance d'une science inexacte et d'une activité humaine faillible. », Luc Fayard
Je me souviens d'un bouquin écrit, en 1996, par notre "General Manager" local, à la retraite. Il parlait des entreprises du secteur informatique qui grandissaient et s'effaçaient une à une, soit absorbées, soit emportées dans la course à la technologie.
Il avait titré son bouquin "La Grande Trappe".
Sa réflexion a été pour l'occasion : "Je vais écrire un livre sur l'histoire de l'évolution des ordinateurs, et je vivrai de ce que les constructeurs me payeront pour que je ne publie pas mon livre ".
Les années qui ont suivi son départ, se sont montrées, non moins voraces, mais sous un autre jour qui ressemble plus à une «Grande Gaufre» par certains points de vue.
Les développements plus ou moins chronologiques ne sont pas une exclusivité du secteur. Elles jouent avec les mêmes armes et les mêmes travers, mais souvent, elles l'ont fait avec plus de zèle, plus ciblées, dans un degré d'excitation et une urgence très personnelle. Si les initiales "ADM" vous disent quelque chose, cela pourrait être un parallèle.
Je reprendrai, en le résumant, le bouquin de mon illustre GM qui a traversé l'histoire de 40 ans d'informatique avec une vue "managériale". Cela me servira de fil rouge pour en reprendre une vision plus personnelle, par l'autre bout de l'échelle, celle de la base.
Si l'histoire officielle vous intéresse seule, elle est, peut-être, sous ce lien, sous la forme d'une autre histoire sous Internet trouvée avec l'aide de Wikipedia.
Expliquons d'abord le titre. Choix volontairement allégorique, en effet. Une gaufre, parfois plus caustique ou plus sucré, selon le cas. Le parallèle entre la représentation allégorique et ce qui s'est déroulé, je le ferai au cours du "show".
Au début, il y a avait la pâte fine destinée aux gaufres: avec une technologie toute fraîche, qui montait sans rien faire, toute pleine d'espoir. La volonté était de la produire au plus vite pour supprimer les tâches répétitives. Toute faite de calculs, de réflexions, de textes intégrées. Une belle pâte fraîche, quoi....
Cette pâte était montée sans beaucoup d'efforts, avec un peu de levure, avec des produits nouveaux conçus "maison". Tout avait, encore, à être inventé. Pour cela, il y avait des créateurs hors pair. Les nouveautés successives avaient pour tâche d'effacer les ratés des opérations manuelles, pour effacer leurs fragilités, leur lenteur d'homme. Beaucoup de contraintes et de mauvaises initiatives toujours destinées à répondre au seul progrès se présentèrent en vrac, sans beaucoup d'expériences préliminaires. La pâte, gorgée de levure, après sa phase ascendante, ne pouvait jamais monter plus haut que le récipient qui la contenait. Mais personne ne s'en souciait. En fin de course, même les nouveautés s'épuisaient. On apprenait ce principe en s'apercevant que rien n'atteint le ciel qu'après beaucoup de temps et d'argent. Mais, n'est ce pas la même chose. Le "Think" d'IBM n'était qu'un sommet parmi beaucoup d'icebergs. On fonçait, on travaillait sans compter, sans limites, trop enthousiasmés par le goût sucré de la nouveauté. L'avenir tout entier était dans les mains des audacieux et les nuits gonflaient les espoirs.
Toute dorée, au début de ce siècle, une bulle s'était formée au sommet de cette pâte encore molle. Les excès du progrès avaient usé les gaufriers les mieux conçus, les mieux aguerris contre la concurrence. Le "hardware" restait sujet à certaines convenances limitées par les potentiels de production des fournisseurs et de l'absorption par la clientèle.
Cette dernière, il ne suffisait plus de l’appâter, il fallait la gâter, la gaver de sucre jusqu'au diabète par le "customer focus", qu'on signalait, simplement, pour ne pas se faire distancer par les "autres".
Petite d'abord, la bulle s'était enflée entraînant la pâte bien molle sur les bords du récipient. Très vite, pourtant, poussée par ses suivantes, la pâte s'était mise à se répandre un peu partout sur les bords du gaufrier, d'abord. Sur le plan de travail, ensuite. La confusion générale, la surprise la plus totale s'en était suivie. On épongeait, on essuyait sans relâche. "L'informatique gaufrière", fonctionnelle avec un avenir certain suivant la compétition acharnée et annoncée. Mais en secret, elle avait subitement pris du plomb dans l'aile. "Qui trop embrasse, mal étreint", pensait-on. Il fallait consolider l'ensemble. Les producteurs venaient de partout, de tous les horizons de l'activité humaine et semblaient intéressés. On se bousculait au portillon jusqu'à oublier où était le "core business", le cœur des petites affaires. Tous les clients voulaient goûter les dernières gaufres, produites avec le plus d'assiduité, le plus d'assurance et au plus bas prix. On était même prêt à participer à la production pour accélérer le processus ... Ou pour le ralentir, qui sait?
Cela fera partie de ce qu'on appellera le "marketing viral".
Car, l'avenir de cette gaufre n'était-il plus totalement assurée qu'on le disait. Le prix de la pâte se payait de plus en plus cher, dès sa sortie. Le gaufrier, lui, avait été perfectionné de gadgets tout azimut le rendant automatique par touches successives. La "gadgetisation", le "user friendlyness" n'avaient pourtant pas été gratuits.
Au sujet des trous dans la gaufre, les uns les voulaient carrés, les autres ronds. Les habitudes qui devaient se réorienter en permanence, demandaient de plus en plus d'heures d'apprentissage pour assurer un tant soit peu d'expérience.
On "versionnait" les gaufriers. Ce fut d'abord les séries qui sortaient et qui ne nécessitaient qu'un ajustement de dernière minute. Bien plus tard, ce furent les programmes d'utilisation qui suivirent le même cheminement avec la complexité qui s'amplifiait. On supprimait ou sauvait des emplois du côté de ceux qui étaient chargés de la confection des gaufres. On créait de nouvelles fonctions, des concepteurs de gaufriers, par la même occasion. Ils changeaient de nom et rataient quelques marches et quelques trous.
Ce furent l'invasion des designers. Que pouvait-on faire de plus et de mieux? Et pourtant... il fallait le retenir cet automatisme qui ne cherchait plus qu'à trouver un hypothétique besoin de progrès.
On se copiait aussi. On fantasmait surtout.
On imaginait toutes les formes du succès.
On découvrait que la petite gaufre carrée, cela prenait moins de place dans l'emballage et pouvait intéresser d'autres acheteurs qui adoraient aussi le sucré-salé.
Le packaging était né. L'espionnage n'a jamais été une affaire de guerre ouverte. On s'observait pour, seulement, en trouver la substantifique moelle et pour, tout aussi vite, l'adapter à sa propre réflexion après l'adaptation de l'étiquette. Bien loin du stade du gros oeuvre, le look de l'appareil prenait de plus en plus d'importance en oubliant sa fonction de base: "faire des gaufres". Windows, la fenêtre sur le monde, ne fut qu'un des solvants de l'approche de convivialité.
"Comment fidéliser sa clientèle?" était devenu la question la plus lancinante pour tous, l'un après l'autre. Les plus grands qui avaient une avance, un seul "gap" avec les suivant rejoignaient tout doucement le troupeau.
Personne ne se posait encore, avec courage, la question du pourquoi pousser le développement dans certaines voies limites, mais il le fallait pour les consommateurs. Le calcul du ratio prix-performance, du P&L, seul, comptait faire des gaufres les plus dorées et les plus croustillantes possibles au meilleur prix performance et meilleure que la concurrence. "Vaincre ou mourir", devenait la devise.
En bas de l'échelle de production, du moment que le chef de la « boîte à gaufres » était content, tout allait bien, se disait-on. Cette course en avant fut entreprise en oubliant qu'à un moment, le coût de la production de ces gadgets dépasserait celui de la vente vu les investissements. La courbe de la rentabilité ne devait que redescendre après l'arrivée à cette apogée que personne ne décelait vraiment.
La bulle des années 2000 (en informatique, juste pour rappel) n'était que la remise à l'heure du processus.
Les apprentis sorciers en ont été pour leurs frais: les gaufres n'ont plus eu le goût de gaufre et la clientèle n'adhèrait plus par contrat. La pâte était produite au prix le plus bas. Les pâtissiers de première couche, devenaient payés au plus juste prix et rongeaient leur frein. Des pâtissiers, trop spécialisés pour rester en course quittaient mais, en s'éclipsant, contraint ou forcés, ils faisaient perdre les généralités du processus global de production qui se perdaient dans les oubliettes.
Financière et boursière, cette allégorie "pâteuse" rappelait les crisettes ou les véritables crises de confiance qui s'étaient déjà manifestées envers la science et les progrès technologiques.
Fracture numérique, qu'ils disaient. Eux devaient tout régler pour le progrès et le bien être de l'homme futur. Pour la bonne bouche mais sans bouche à bouche. Cette phase se préparait pourtant.
Avec la pâte qui restait dans la casserole, il avait fallu se résoudre à en faire des gaufrettes, toujours plus petites, avec de levure plus exotique.
Le prix de la levure montait dans le même temps. Les produits qui la composait se perdaient dans la nuit des temps. Beaucoup de déchets étaient à déplorer. On ne saura jamais si ce qui était passé à la poubelle de l'histoire, l'avait été à bon escient, mais il avait fallu choisir dans la précipitation. Les poubelles se retrouvaient dans le chemin inverse d'où elles venaient pour garder un tant soi peu de valeur dans le recyclage.
Les prix de la matière première et des ingrédients étaient devenus tellement chers, le gaufrier, tellement bon marché, les manutentionnaires dont on n'espérait un peu trop que respecter les dates de péremption très lointaines, que tout devenait aléatoire. Décongelée, la plus brutale. On pressa, de plus en plus fort, les deux plaques du gaufrier. On pressa, compressa pour atteindre le minimum d'espace entre les plaques du coût. On avait presque créé des churros ou des croque-monsieur en place des gaufres. Un peu secs, les churros... mais ceux qui s'en plaignaient, c'était ça ou la fuite vers une herbe qui n'était pas plus verte ailleurs.
Parfois, au mauvais moment, un court circuit se produisait. Les grèves du zèle, les fameux "bugs", étaient nés et faisaient des ravages dans la fine mécanique. Nombreux, ces bugs. Internes et externes. La gaufre était alors devenu trop brûlée sur le haut et pas assez sur le bas. Il fallait remplacer ou c'était le chômage technique et l'info qui ne passe plus. Changer les gaufriers dans leur structure, changer la pâte et les fournisseurs devenait les seules préoccupations. Cela prenait de plus en plus de temps pour faire le produit fini : la belle gaufre. Le "snacky gaufrier", d'autres appelaient cela PC, était devenu le futur immédiat et pour longtemps.
Tester se faisait, cette fois, à distance. En réseau, qu'on disait. C'était un peu l'aventure que l'on se refilait sans beaucoup d'expériences. Le gaufrier, on l'emportait à la maison. L'esprit d'équipe s'y perdait, mais était-il prépondérant, puisque tout le monde y gagnait un peu? C'était oser se tromper et partir en perdition dans certaines mauvaises gestions du risque. Le meilleur rapport se cantonnait en définitive à la seule norme du prix bas en n'oubliant pas la performance, mais tout de même un peu la gestion dans l'efficacité, en finale. Pour comprendre les desiderata de la clientèle et des prospects, Internet va offrir d'autres formes d’espionnite. Nouvelle appellation, le "fishing" en réseau allait apporter une source d'informations infinie sur le consommateur. Du poisson dans les gaufres !!! Un comble. Ensuite, les consommateurs, eux-mêmes, s'offraient au monde du virtuel par les blogs et des "ego" soigneusement détaillés, retrouvés sur les MySpace et autres. Comme compensation, on naviguait en plein "réseaux social". Parfois, le producteur, lui-même, scannait, plus ou moins incognito, derrière des pseudos, à la recherche de ce qui manquait pour s'attirer l'eau de Jouvence à mélanger avec la pâte.
Dans cette débandade de la gaufrette, prenant encore d'autres formes épiques, à en oublier jusqu'à l'origine et la finalité : plaire au client. La chantilly, au sommet de la gaufre, placée pour agrémenter, n'était plus tout à fait blanche et fondait de plus en plus vite.
Personne ne s'inquiétait plus que le gaufreur ne porte plus la toque sur la tête. Quant au pâtissier, censé seulement de placer la pâte dans le gaufrier, la motivation s'en allait comme elle était venue. La qualité laissait tout doucement à désirer vu la compétition trop virulente. Elle faisait place à la quantité. On n'allaient jamais assez vite. La notion du temps nécessaire était très suggestive et les déchets s'accumulaient. On allait chercher ailleurs, de plus en plus loin, si la pâte était meilleure, si l'ensemble des opérations ne pouvait s'y dérouler, en plus. On en perdait son âme et sa marque. La technologie, au service de la technique et plus l'inverse.
Les clients, les grands amateurs de gaufres, étaient de moins en moins contents. Changer trop souvent, on n'aime pas trop dans ce milieu très terre à terre, trop peu pragmatique. A chacun sa gaufre. La patience et le travail des plus acharnés ont été les secours de ceux qui espéraient encore, de ceux qui restaient à bord, ce qui n'était pas nécessairement une chance après coup. Ce qui restait à l'intérieur s'était vu prendre des formes très coincées, très moulées dans un style "tout fait", pas très séant. Les clients avaient eu même l'audace de passer leur tour.
Le goût n'était manifestement plus le même avec le design tout fait. Pour s'en rappeler, on y accolait un numéro de série sur le dessous, un "serial number", qu'on disait pour ne pas confondre. On se mettait à rêver de jours meilleurs.
Où avait-on raté les marches? Une mauvaise adaptation aux besoins réels du client, une mauvaise appréciation du côté fournisseur, un manque de motivation pour les études "gaufrières"? Créer une pénurie pour les amateurs pour relancer la machine? Tout n'était qu'affaire de cycles, disait-on. A un creux d'une gaufre, correspondrait, pour un temps, une excroissance en alternance plus qu'honorable mais, cette fois, plus dans l'unanimité. On dénombrait plus de creux que de gaufres. Heureusement, le pensait-on, on avait appris et pris des dispositions de sauvetage, les mieux ajustées possible. Pourquoi pas modifier les constituants de la pâte? Affiner les ingrédients et s'inquiéter pour maintenir la pâte dans la casserole pour ne pas en perdre.
L'école pouvait remotiver les troupes pour remettre toute la "machinerie" en route. Les études pour devenir gaufreur étaient devenues aussi de plus en plus complexes. Ce n'était plus le dessert que l'on se servait à quatre heures. Les pâtissiers qui avaient quelques qualifications plus spéciales, s'échappaient vers des horizons les plus variés. Cela en devenait gênant car les gaufres, on en redemandait aussi en anciens formats. Les clients n'en feront jamais qu'à leur tête.
Aromatiser la gaufre pressée avec le flambé d'un « alcool de riz » allaient pour un temps, en améliorer le goût. Enfin, on l'espérait. Cela mènerait peut-être à devoir acheter des gaufres à la grande surface, empaquetées, plastifiées avec de petits caractères parfois illisibles sur l'emballage. Tout est une question de mesure, en somme.
Des ordinateurs, pour en revenir à eux, c'est un peu leur histoire avec ses hauts et ses bas.
Cette histoire, un subtil mélange de pâte, de gaufres, de gaufriers, de gaufreurs, de gaufrés, de "bits", de dichotomies digitales. Elle est loin d'être finie.
Vous n'avez pas tout compris dans ce monde onirique? Normal, c'était volontaire.
Le détail se retrouvera dans les chapitres suivants.
Se rappeler seulement qu'une gaufre est un dessert avec des creux et aussi des rebondissements des processus par secousses répétés sur toute sa surface.
Le virus "argent" a toujours motivé plus en tout, même si la passion du travail s'est réduite. Le bonheur du travail bien fait est un peu à la traîne. La chaleur est toujours là, latente, il suffit de la maintenir à feu doux pour la ranimer.
Critiques, parfois acerbes, que tout cela?
Il faut être critique. Si les informaticiens ne l'étaient pas qui le seraient. La profession d'invention qu'est celle d'informaticien, les besoins de progrès toujours en expansion en valent la peine.
Attachez, donc, vos ceintures sans nostalgie et avec ou sans abandonware car cela va secouer...
Pas trop de levure, à feu doux, sans trop d'agitation, disais-je, et elle sortira, cette gaufre, bien dorée et croustillante.
Alors, que dire de plus , sinon, "Bon appétit".
18:20 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Merci, bon appetit a vous aussi.
Écrit par : Netherlander @ uk phone cards | 04/01/2010
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